L’association fut créée au 19ème siècle et officiellement inscrite au registre de la ville de Gand le 24 décembre 1855. C’est donc dans le contexte social de cette époque qu’il faut interpréter sa création.
Replongeons-nous donc quelques instants dans ce 19ème siècle,
Une vague d’industrialisation submerge l’Europe de l’ouest et la ville de Gand n’a pas échappée à cette évolution. Elle s’est développée en une grande métropole industrielle et cela surtout grâce à son industrie textile florissante.
Dans les campagnes de Flandres la population vit très pauvrement.
Attirés par les emplois qu’offrent cette nouvelle industrialisation dans la ville et dans l’espoir d’y trouver de meilleures conditions de vie, un mouvement migratoire des campagnes vers la ville s’est fait jour.
La profonde crise de l’industrie du lin de 1840 accélère encore cette migration.
Pour les industriels cette situation est très favorable. Ainsi disposent-ils d’une importante réserve de main-œuvre et ils n’hésitent pas à profiter de cette offre abondante pour faire travailler leurs ouvriers longtemps et à des salaires de misère.
Hommes, femmes et enfants sont mis au travail. L’exploitation est extrême !
Les salaires sont bas et les patrons n’hésitent pas à les baisser en cas de situations économiques défavorables.
Souvent les ouvriers sont payés en nature ou encore obligé d’acheter leur besoins quotidiens dans les magasins d’usines, sous contrôle exclusif des patrons.
Ils sont soumis au payement d’amendes en cas de faute dont seul le patron est juge.
Le « carnet d’ouvrier » est obligatoire. Le patron y inscrit ses commentaires sur le travail et le comportement de l’ouvrier. Ainsi peut-il mettre en garde ses collègues patrons contre les ouvriers trop rebelles.
Les patrons octroient facilement des avances sur salaire. Avances que les ouvriers ont, vu le niveau bas des salaires, toutes les peines du monde à rembourser. Ainsi sont-ils liés à leur patron jusqu’à l’apurement de leur dette, c.à.d. jusqu’à la fin de leur vie.
Les ouvriers sont donc totalement soumis au bon vouloir des patrons et ceux-ci n’hésitent pas, lorsque le besoin se fait sentir de les mettre au chômage sans aucune compensation.
À cette époque, il n’y a pas sécurité sociale comme on la connaît aujourd’hui. Seuls existent quelques formes rudimentaires d’assistance publique.
- Les « Commissions des Hospices Civils » en charge des malades, des orphelins, des enfants abandonnées et des handicapés.
- Le « Bureau de la Bienfaisance », précurseur de l’actuel CPAS et responsable de l’organisation de l’assistance publique.
En dehors de cela il n’y a que des initiatives privées et celle-ci sont à cette époque presque exclusivement sous contrôle du clergé, assisté en cela par la haute aristocratie, propriétaires terriens encore fortement sous influence féodale.
Au milieu du 19ème siècle, une partie de la bourgeoisie, qui au départ ne s’intéressait que très peu au sort de la masse ouvrière, y est sensibilisée sous l’influence des idées des lumières et de celles issues de la révolution Française.
2 courants s’opposent:
– D’une part les élites traditionnelles, composées essentiellement de la haute l’aristocratie, soutenue par le clergé. Pour eux la pauvreté est un état de fait naturel et donc inévitable. Le pauvre doit, selon ces conservateurs, apprendre à accepter son sort et trouver son salut dans l’au-delà. Son enseignement populaire doit avoir pour but d’inciter les pauvres à l’application, à la discipline et à la religiosité.
– Les milieux bourgeois libéraux, d’autre part, sont composés de catholiques modérés et anticléricaux plus radicaux. À leurs yeux, ce n’est pas la structure libérale de la société qui est en cause mais bien l’ignorance et l’immoralité du prolétariat. Ils estiment que le meilleur moyen pour les sortir de leur état de pauvreté est de leur donner accès à la connaissance par l’enseignement.
Ces deux philosophies sociales s’affrontent donc.
À Gand, l’affrontement est d’autant plus violent que le conseil communal sera de 1830 à 1958 alternativement dominé par les libéraux et les catholiques.
La bienfaisance catholique d’un côté et la libérale de l’autre fut incontestablement utilisée dans cette lutte.
C’est dans ce contexte qu’il faut voir la création, en 1855, de l’association des « Sans Nom non sans Cœur ».
Voici donc la petite histoire de la création de l’association telle que rapportée par Gustave Coryn, un des membres fondateurs, dans un livret édité par Isodore Van Doosselaere, une autre membre fondateur, en 1860, à l’occasion du 5ème anniversaire de l’association.
C’est au cours d’un dîner entre amis, membres de la petite bourgeoisie Gantoise que germa l’idée. Nos amis philanthropes discutent de la situation sociale et s’étonnent que la bourgeoisie Gantoise se soucie si peu du sort misérable de la population ouvrière à l’approche de l’hiver.
Ils décident d’entreprendre une action au profit des ouvriers les plus nécessiteux et d’organiser une exposition d’œuvres d’art et d’objets insolites, récoltés dans les milieux bourgeois et de les vendre aux enchères.
Ils n’ont alors encore aucune intention de créer une association !
Dans les jours qui suivent, ils présentent leur idée au responsable d’une association caritative existante catholique mais essuient un refus, sous prétexte qu’il y a déjà assez d’actions de bienfaisance à Gand et que, de toute façon, il n’y a aucun nom (comprenez aucune personnalité connue de l’aristocratie) pour soutenir leur action et en garantir le succès.
Nos amis ne se laissent pas démonter pour autant et partent à la recherche de noms, de garants. Rapidement ils obtiennent la signature d’une vingtaine de bourgeois libéraux et retournent auprès du responsable de l’association mais essuient un nouveau refus.
Parcourant le liste des signatures, le responsable de l’association se serait exclamé en ricanant : « Je ne vois là que des signatures mais aucun nom ».
À quoi un de nos philanthropes, vexé, aurait répondu : « Nous n’avons peut-être pas de nom mais nous avons du cœur et nous prouverons qu’il est possible de faire autant avec le cœur que celui avec un nom» !
Et c’est ainsi que le 24 décembre 1855 nos amis créent leur propre association et faisant référence à la critique catholique, la nommèrent : « Cercle Philanthropique les sans Nom non sans Cœur ».
La première action, leur fameuse vente aux enchères, remporte un franc succès. Ils récoltent la somme rondelette de 5.000 francs or, avec laquelle ils achètent de l’habillement pour un millier d’enfants des écoles gardiennes de la ville.
À peine quelques mois plus tard, en mai 1856, c’est l’explosion d’une chaudière dans une usine textile qui est leur premier grand défi. Il y a une dizaine de morts, de nombreux blessés et un grand nombre d’ouvriers sans travail.
Les « Sans Noms non sans Cœur » parviennent à mobiliser une part importante de la bourgeoisie libérale Gantoise pour venir en aide aux familles touchées par la catastrophe.
Dès ce moment, les activités de collectes de fonds et de soutien aux ouvriers se multiplient à grande vitesse.
Bals, concerts, tombolas, boîtes de collecte dans les cafés, expositions, pièces de théâtre, cavalcades et bien d’autres activités encore, se succèdent, tant et si bien qu’en peu de temps le Cercle Philanthropique des sans Nom non sans cœur devient le coordinateur et l’organisateur incontesté de la philanthropie libérale gantoise.
Les activités d’aide aux ouvriers suivent la même cadence.
– Achat d’habillement pour des enfants des écoles de la ville.
– Distribution de charbon, de nourriture, de bons pour de la soupe ou du pain, de meubles etc.
– Financement et exploitation de réfectoires populaires dans des bâtiments mis à la disposition par la ville.
– Octroi aux plus démunis d’une aide financière temporaire.
– Financement de jeunes artisans démunis, ayant la volonté de s’installer comme indépendants.
L’enseignement est une priorité pour les Sans Noms et leur aide va tout naturellement vers l’enseignement public. Cette préoccupation est concrétisée,
– par l’octroi de bourse d’étude à des élèves méritants.
– par une collaboration systématique avec les directions d’écoles dans lesquels ils interviennent au profit des enfants.
– par la mise en place d’une épargne scolaire avec mise de fonds des Sans Nom.
– par une aide financière à l’école Carels.
– par une aide au Willemsfonds lors de la mise en place de sa bibliothèque populaire.
– par le co-financement en 1859 d’une école public pour garçons. C’est en étroite collaboration avec le bourgmestre libérale de l’époque, Charles de Kerckhove, qui l’association cofinance cette école dans le faubourg des Espagnols, près de la Porte d’Anvers
Une collaboration étroite avec la ville de Gand et en particulier avec le Bourgmestre de l’époque, Charles de Kerckhove, conduira les sans Nom non sans Cœur, à cofinancer une école public pour garçons dans le faubourg des Espagnols du côté de la porte d’Anvers. Cette école s’appellera « de school « Zonder naem niet zonder Hert ». Elle fut détruite après le seconde guerre mondiale mais la pierre commémorant l’événement orne encore la façade du bâtiment qui la remplace.
Une autre action qui laisse une trace tangible dans notre ville, est le financement de 3 maisons pour personnes âgés en collaboration avec Prosper Claeys, Président de l’époque du « Bureau de la bienfaisance ».
Au début du 20ième siècle les sans Nom non sans Cœur financent, en étroite collaboration avec le libéral Prosper Claeys, Président du “Bureau de la bienfaisance” le précurseur de l’actuel CPAS, 3 maisons sociales pour personnes âgées.
Celles-ci furent rénovées et sont visibles dans l’actuel « rue Prosper Claeys » près de la gare St Pierre.
Pour récolter les fonds nécessaires à son fonctionnement, les Sans nom non sans cœur peuvent compter sur les dons individuels de libéraux Gantois , sur les actions organisées par elle ou, à son profit, par des associations amis mais aussi sur les dons des cercles libéraux Gantois.
Ainsi retrouve-t-on parmi les principaux donateurs de la première heure, le Cercle La Concorde, la Garde Civique, Les Loges Maçonniques Le Septentrion, La Liberté et l’Union des Flandres, mais aussi des cercles moins évidents comme les étudiants des hautes écoles, des sociétés littéraires, de chants ou de théâtres, des fanfares, des cercles libéraux régionaux, etc.